J'avais prévu de faire cet article en janvier, dans un grand article présentant les nouvelles mesures RH 2019 mais en descendant mon fil Twitter ce soir, un tweet m'a fait bondir :
L'année prochaine, il n’y aura plus de charges sur le SMIC. Notre objectif, c'est qu’on puisse donner du boulot aux Français et que quand on travaille, ça paye plus ! Vous voulez augmenter le SMIC, nous voulons augmenter tous les salaires. @BFMTVpic.twitter.com/6VsJnmr3jD
— Stanislas Guerini (@StanGuerini) December 5, 2018 (capture)
Tellement de choses à dire… par où commencer ? Reprenons pas à pas !
L'année prochaine, il n'y aura plus de charges sur le SMIC
Premièrement, ce ne sont pas des charges mais des cotisations sociales, qu'on appelle aussi (enfin, pas les politiciens de droite) du salaire socialisé. J'en ai déjà parlé moult fois, mais c'est toujours important de le répéter : les cotisations sociales servent à financer les aléas de la vie qu'on sépare, dans notre milieu, en six catégories de « risques » (vieillesse, maladie, maternité, emploi, etc.).
Je vous conseille d'ailleurs cet article très intéressant sur l'explication et la répartition des différents risques, du site de la Direction de l'Information Légale et Administrative (oui, bon, chacun ses lectures, hein !).
Bref, je trouve dommage de continuer à véhiculer l'idée que ce sont des « charges » parce que cela fait perdre totalement de vue leur but et le fait qu'elles bénéficient au final à la société. D'ailleurs, l'actuelle Ministre de la Santé, Agnès Buzyn, confirmait ce matin par tweet ce que nous savions déjà :
Le reste à charge des Français pour leurs dépenses de santé est le plus faible de l’Union européenne et nous continuons de le faire ↘️.
Comme vous, nous voulons que le pouvoir d’achat ↗ et que les impôts ↘️ mais sans sacrifier la #solidarité ni notre modèle social. pic.twitter.com/peaak5cuYL
— Agnès Buzyn (@agnesbuzyn) December 6, 2018 (capture)
Alors bon, je me permets d'être en désaccord sur le côté « nous continuons à diminuer le reste à charge des Français pour leurs frais de santé » quand on voit l'évolution de la part de remboursement de la Sécurité Sociale et celle des mutuelles… Et puisque les mutuelles, désormais obligatoire en entreprise, sont, pour la plupart, financées en partie par les salariés, je considère que la cotisation est du coup à prendre en compte dans le « reste à charge ».
J'aimerais qu'on m'explique, mathématiquement, comment on va continuer à diminuer le reste à charge des frais de santé quand on diminue progressivement les cotisations sociales justement affectées à ce risque et que les cotisations de mutuelles augmentent tous les ans.
Mais revenons à nos moutons et au tweet initial. Donc l'année prochaine il n'y aura plus de charges sur le SMIC. Super.
Notre objectif, c'est qu'on puisse donner du boulot aux Français
Hmmm hmmm… comme avec le CICE du coup ?
Il semblerait y avoir un enchaînement logique dans ce tweet : la suppression des cotisations sociales sur le SMIC va permettre de donner du boulot aux Français. Ce qui implique :
- soit qu'il y a des tas de boulots disponibles non pourvus ;
- soit que les employeurs aimeraient bien créer de nouveaux emplois mais que ça leur coûte trop cher.
Premier cas : les offres existantes ne sont pas pourvues. Ce qui est vrai, forcément, si les offres existent et perdurent c'est qu'elles ne sont pas pourvues. Et encore à chaque fois, on en parle comme si c'était toujours les mêmes offres, non pourvues depuis des décennies, alors que la réalité est bien plus mouvante ! Mais dans ce cas, je ne vois pas en quoi cette mesure va permettre de les pourvoir.
Suivez mon raisonnement : admettons qu'un employeur publie une offre d'emploi. N'étant pas philanthrope, il a donc calculé que le coût du salarié sera compensé par un gain au moins équivalent (augmentation du chiffre d'affaires par exemple). Admettons alors que cette offre ne soit pas pourvue, je ne vois pas bien en quoi une mesure de réduction de cotisations va permettre de pourvoir miraculeusement cette offre ! S'il n'arrive pas à trouver de candidat, c'est peut-être parce que son offre n'est pas attractive :
- Zone géographique peu attrayante ? Je ne vois pas en quoi baisser les cotisations sociales rendra la région plus attirante !
- Profil de candidat extrêmement rare ? Idem.
- Employeur psychopathe faisant fuir tous les candidats ? Il ne sera pas moins flippant s'il paie moins de cotisations… sauf si sa pathologie est directement liée au montant de cotisations versées en fin de mois à l'URSSAF !
- Salaire proposé trop faible par rapport au travail à fournir ? Ah… peut-être, alors admettons alors que l'employeur profite de cette réduction de charges pour proposer un salaire plus important ? Oui, mais non !
Parce que la loi ne permet pas de proposer un salaire inférieur au SMIC – sauf cas très exceptionnel. Donc l'employeur aurait proposé un salaire au moins équivalent au SMIC. Et s'il propose plus que le SMIC, il n'aura plus autant de réductions de cotisation puisque la réduction est progressive de 0 à 1.6 SMIC et donc il n'a plus d'intérêt à augmenter le salaire proposé ou alors de manière très marginale pour rester dans son budget initial. - Poste à temps partiel et tous les candidats chercheraient à temps plein ? c'est le seul cas dans lequel les deux choses pourraient être corrélées : l'employeur profiterait de la réduction de cotisation pour passer le poste à temps plein (en gros, pour le budget qu'il avait prévu de consacrer à ce poste, il peut désormais recruter un salarié à temps plein au SMIC plutôt qu'un salarié à temps partiel).
Deuxième cas : les employeurs aimeraient bien créer des tas d'emplois, mais ça leur coûte trop cher. Admettons.
Sauf que l'Histoire n'a pas vraiment montré de corrélation entre diminution des cotisations sociales et diminution du taux de chômage, comme on peut le voir sur le site des comptes publics dont j'extrais ici le graphique pour plus de lisibilité dans l'article :
Par exemple, la réduction Fillon (appelée désormais « réduction générale des cotisations patronales sur les bas salaires ») est entrée en vigueur en juillet 2003. Comme on le voit sur le graphique du lien précédent, l'effet sur le chômage a été… comment dire ? Mitigé !
Cette réduction n'était pas d'ailleurs totalement nouvelle puisqu'elle se substituait à différentes mesures d'allègements de cotisations sur les bas salaires qui existaient depuis 1993… Alors, le graphique ne remontant qu'à 1995, je suis peut-être mauvaise langue, et le taux de chômage avait peut-être drastiquement diminué entre 1993 et 1994.
Plus récemment, le CICE est entré en vigueur le 1er janvier 2013. Il s'agissait certes d'une mesure fiscale, et non sociale, mais le but annoncé était d'inciter les employeurs à recruter en masse (un million d'emplois promis !) et comme on peut le voir sur le même graphique, le succès de cette mesure fut fulgurant !
À moins qu'on n'envisage la mesure dans un grand cercle vertueux : l'employeur dégage des fonds pour créer plus d'emploi, produire et vendre plus de produits et de services. De leur côté, ces nouveaux et nouvelles salarié·e·s gagnent en pouvoir d'achat et donc consomment plus et font augmenter la demande, ce qui fait donc augmenter l'offre en créant plus d'emplois et ainsi de suite !
et que, quand on travaille, ça paye plus !
C'est-à-dire ? Plus que le chômage ? C'est déjà la cas ! Parce qu'étant donné le calcul de l'allocation de retour à l'emploi, elle est mathématiquement moins importante que le salaire précédent. Dans une même catégorie socio-professionnelle bien sûr.
Un cadre au chômage touche probablement plus que le SMIC mais je ne vois pas en quoi cette mesure va lui permettre de gagner plus en travaillant puisqu'elle ne le concerne pas ! Pour le calcul détaillé de l'allocation de retour à l'emploi, c'est ici
Ou alors, il veut dire « plus que l'an dernier » ? On va y venir…
Vous voulez augmenter le SMIC
Ouais effectivement, ce serait pas mal. Sachant que le SMIC est actuellement de 1 498.47 € bruts, ce qui équivaut (en fonction des taux de cotisations applicables dans l'entreprise) à 1 150 € nets environ. C'est pas non plus particulièrement extravagant de nos jours (surtout que, vu les évolutions récentes de notre système de santé et de retraite, il vaut mieux commencer à capitaliser !).
nous voulons augmenter tous les salaires.
Et on arrive à ma partie préférée !!! Qu'entendez-vous par là, Monsieur le Député ? Tous les salaires de tous les gens qui travaillent ? Et vous parlez de quel salaire ? Le brut ? Le net ? Le salaire socialisé ? Allez, admettons qu'il parle du salaire net (c'est l'hypothèse la plus probable).
Pour augmenter le salaire net, il y a deux solutions :
- augmenter le salaire brut sans augmenter les taux de cotisations sociales, sauf que, pour le moment, la loi ne peut agir que sur un seul salaire brut et c'est le SMIC (ce n'est pas le gouvernement qui va aller renégocier à la hausse toutes les grilles conventionnelles par exemple) - je ne parle ici que du secteur privé bien entendu
- réduire les taux de cotisations sociales, ce qui, mécaniquement, augmente le salaire net… Ah ben ça tombe bien, puisque c'est justement ce qui est annoncé dans la première phrase !
Oui mais… pour que ça fonctionne, il faut réduire les taux de cotisation salariales ! Vous voyez où je veux en venir ?
Reprenons un peu l'histoire :
La réduction des cotisations sur les bas salaires (dégressive entre 0 et 1.6 SMIC) existe déjà pour une partie des entreprises (et notamment les associations). C'est la fameuse ex-réduction Fillon, qui s'applique, sous certaines conditions, à la plupart des cotisations patronales URSSAF.
Pour les autres entreprises, elle viendra, dès le 1er janvier 2019, remplacer le CICE, qui n'a pas eu, à ma connaissance, pour effet d'augmenter « tous les salaires ».
On remplace donc une mesure par une autre, donc je ne vois pas en quoi elle sera révolutionnaire en 2019 et comment elle va contribuer à augmenter des salaires que la mesure précédente avait laissés intacts !
Ce qui va changer en 2019, en revanche, c'est que cette réduction générale va s'étendre aux cotisations de retraite complémentaire (au 1er janvier pour environ 6% du brut) et aux cotisations d'assurance chômage (au 1er octobre pour environ 4.05% du brut). Donc une réduction de cotisation qui concerne actuellement environ 27.7 % du salaire brut, concernera, en janvier 2019, 33.7% du salaire brut et en octobre 2019, 37.75% du salaire brut.
Mais on parle bien toujours de cotisations patronales ! Ce qui n'aura donc aucun effet sur le salaire net.
Bon alors, dans ce cas, c'est qu'il parlait du salaire brut : l'employeur ne sera désormais plus étranglé par toutes ces charges qui coûtent très très cher, alors avec tous les sous qu'il va économiser grâce à cette nouvelle mesure formidable du gouvernement, il va pouvoir faire deux choses (choses qu'il n'avait pas faites avec les sous économisés précédemment grâce au CICE ou à cette même mesure déjà existante parce que… euh… non mais c'était différent, là ce sera pas pareil !) :
- embaucher des tas et des tas de gens (au SMIC, bien sûr) ;
- et augmenter les salaires bruts de tous ses salariés (mais pas trop, sinon il n'aura plus assez de salariés au SMIC pour bénéficier de la réduction et qu'il faudrait pas que les cotisations des uns dépassent les économies de cotisations des autres !).
TADAAAAAAAA !!! Joyeux Noël tout le monde !!!
La dernière chose qui me dérange dans cette phrase : il sous-entend qu'il vaut mieux augmenter tous les salaires plutôt qu'uniquement le SMIC. Certes… sauf qu'il invoque une mesure qui s'applique principalement sur les salariés au SMIC (comme expliqué ci-dessus, cette mesure est dégressive pour les salaires allant du SMIC à 1.6 SMIC).
Alors, j'ai fait un petit calcul pour m'amuser (on occupe ses soirées comme on peut), en partant des taux de cotisations applicables dans mon entreprise.
En décembre 2018, voici les chiffres pour un salarié au SMIC :
- salaire brut de 1 498.47 € ;
- cotisations salariales de 340.58 € ;
- salaire net de 1 157.89 € ;
- cotisations patronales de 365.44 € ;
- coût total pour l'employeur (brut chargé) de 1 863.91 €.
En décembre 2018, voici les chiffres pour un salarié à 1.6 SMIC (qui ne donne donc plus droit à la réduction des cotisations sociales) :
- salaire brut de 2 397.55 € ;
- cotisations salariales de 535.05 € ;
- salaire net de 1 862.50 € ;
- cotisations patronales de 1 295.38 € ;
- coût total pour l'employeur (brut chargé) de 3 692.93 €
En passant du SMIC à 1.6 SMIC, le salarié bénéficie d'une augmentation de son salaire net de près de 61 %. Le coût de ce salarié pour l'entreprise augmente de 98 % (soit près du double). Dans un raisonnement purement budgétaire, l'employeur a donc tout intérêt à embaucher de nouveaux salariés au SMIC, et à ne pas les augmenter ultérieurement.
Alors j'ai du mal à voir comment cette mesure va permettre de ne pas augmenter uniquement le SMIC (déjà qu'elle ne permet pas du tout de l'augmenter !) mais tous les salaires (salaires supérieurs au SMIC, qui je le répère encore un coup ne sont pas concernés par cette mesure !).
Et voilà, comment on fait de la démagogie en moins de 300 caractères ! Et on mélange tout ensemble : confusion entre charges et cotisations, corrélation hasardeuse entre diminution des cotisations et diminution du chômage et augmentation des salaires.
Du coup, selon ce député, cette mesure va permettre en même temps de réduire le chômage et d'augmenter tous les salaires ! Pas mal, pour une mesure qui existe déjà (en soi ou sous la forme du CICE) et qui ne concerne que les salaires inférieurs à 1.6 SMIC ! Et qui n'a pas vraiment eu l'effet escompté jusqu'à présent ! Mais je suis sans doute cynique et il est probable que les réductions supplémentaires des cotisations de retraite et chômage étaient juste ce qu'il manquait à la version précédente pour arriver à ça !
Et si, pour une fois, vous les députés essayiez d'arrêter de nous prendre pour des truffes ? Et si vous arrêtiez de nous mentir, arrêtiez de nous faire croire que nos cotisations sociales coûtent trop cher, que les grands patrons vont subitement s'acheter une conscience et réinjecter les gains de ces mesures fiscales et sociales dans l'économie du pays ou que l'augmentation de notre pouvoir d'achat est votre principale préoccupation, arrêtiez de détruire notre système solidaire de santé et de retraite en favorisant insidieusement le chacun pour soi ?
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