J'ai déjà abordé la question du forfait jours dans un article précédent sur les durées de travail (fort bien écrit, du reste) mais j'ai cru comprendre que ce sujet intéressait un grand nombre de mes très nombreux lecteurs, donc je vous propose d'approfondir un peu ce sujet ensemble (enfin, quand je dis « ensemble » c'est façon de parler parce que c'est quand-même moi qui fais tout le boulot… mais ça me fait plaisir :P).
Vous n'êtes d'ailleurs pas les seuls à vous poser des questions puisque la Cour de Cassation a rendu plusieurs arrêts ces derniers mois, peut-être dans une volonté de recadrer le recours aux conventions de forfait en jours. La loi Travail1 a permis de sécuriser un peu les règles régissant ces contrats.
Et euh… c'est quoi déjà le forfait jours ?
Bon alors, je répète pour ceux qui roupillent au fond de la classe, collés au radiateur : le nom complet c'est convention de forfait en jours
, communément abrégé en « forfait jours ».
Pour faire très simple, c'est un type de durée du travail. Je ne le répèterai jamais assez : lisez votre contrat de travail avant de le signer ! Il regroupe tout un tas d'informations utiles comme (liste pas du tout exhaustive) :
- le nom officiel de votre poste, et ce n'est pas anodin puisque si vous lisez la grille d'emploi de votre convention collective (autant vous prévenir, c'est moins trépidant que Sherlock Holmes…), à chaque poste correspondent des missions plus ou moins détaillées, votre champ d'action, etc. ;
- votre rémunération (conditions, montants, etc.) ;
- et… votre durée de travail (en heures ou, dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui, en jours) !
Comme vous signez ce contrat, vous en acceptez les conditions (sauf les clauses illégales ou abusives mais ça c'est un autre problème).
Donc, pour en revenir à la convention de forfait en jour : si vous êtes dans ce cas, votre contrat de travail stipule dans son article « Durée du travail » (ou équivalent) une durée en nombre de jours. Cette durée est au maximum de 218 jours… mais comme le droit français est fait d'exceptions et de dérogation, ce plafond peut être porté à 235 jours.
Allez, parce que je vous aime bien, je vous remets ici le calcul de ces chiffres :
- le plafond légal est de 218 jours, ce qui signifie que selon les années, vous aurez plus ou moins de JRTT (année bissextile par exemple, ou lorsqu'une partie des jours fériés tombe un dimanche). Donc vous devez travailler maximum 218 jours dans l'année, le reste ce sont des jours de repos hebdomadaires (traditionnellement les samedi et dimanche), des jours de congés payés (25 ou 30 selon le mode de calcul de votre entreprise… oui, je ferai un article en suivant sur les congés payés), des jours fériés chômés, des JRTT.
- mais ce plafond peut-être porté à 235 jours pour les gens qui n'ont pas de vie sociale et autres Pénélope acharnées qui sacrifient leur vie pour le travail : 365 jours par an − 104 jours de repos hebdomadaires (2 jours par semaine) − 25 jours de congés payés − 1er mai (seul jour férié officiellement chômé sauf cas exceptionnel genre établissements de santé) = 235 jours annuels. Ce qui veut dire que le salarié renonce à tous les RTT auxquels il pouvait prétendre. Pourquoi je dis « renonce » ? Parce que c'est à l'employé de demander, à son employeur, l'autorisation de dépasser les 218 jours. Ce dépassement donnera lieu à compensation financière (oui, pas en repos, forcément, sinon c'est complètement illogique !) dans les mêmes proportions que la majoration des heures supplémentaires applicable dans l'entreprise (au minimum 10 %). Ce dépassement doit faire l'objet d'un avenant écrit qui n'est pas tacitement reconduit…
Qui sait ? les évolutions futures du droit du travail autoriseront (ou imposeront ?) peut-être le renoncement aux jours de congés payés, et à la moitié des repos hebdomadaires… Mais bon, on en est pas là pour le moment. Passons plutôt à la question suivante : qui peut signer un contrat de ce type ?
Et moi, j'y ai droit ?
Démolissions direct l'alternative fact le plus répandu sur le forfait jours :
Le forfait jours est réservé aux cadres
Eh non, le forfait jours n'est pas réservé aux cadres. En réalité le Code du Travail stipule que les conventions en forfait jours sont réservées :
- aux « cadres autonomes dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif » ;
- aux « salariés dont la durée du travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités ».
Exception (je ne sais pas trop pourquoi) : « les salariés appartenant au personnel roulant des entreprises de transport routier » ne peuvent pas conclure de conventions de forfait en jours (ou même en heures) annuelles.
Bref, vous l'aurez compris : le vrai prérequis d'un tel contrat est l'autonomie dans ses tâches qui rend impossible pour le salarié de se soumettre aux horaires collectif. En gros, votre charge de travail est conséquente et surtout non linéaire : vous aurez des semaines plus chargées et des semaines un peu plus cool. Certaines de vos missions feront qu'il vous sera plus simple de décaler vos horaires de travail afin d'éviter le calme légendaire régnant dans un open space (ambiance piste de décollage d'un Boieng 747).
Par exemple, si vous êtes consultant : vos projets ne sont pas linéaires et votre patron préfèrera que vous bossiez 10 h d'affilée sur une présentation du lendemain plutôt que vous voir faire acte de présence pendant deux jours et ne pas pouvoir boucler vos dossiers sur les jours suivants parce que vous respectez vos horaires de travail et que la débauche, c'est la débauche.
Mais, alors si vous avez bien suivi, nous pouvons aussi enterrer définitivement une deuxième idée reçue sur le forfait jours :
L'employeur peut fixer des plages horaires minimum de présence à un salarié en forfait jours.
Eh ben non !!!
Si votre poste justifie une convention de forfait en jours, c'est que vous ne pouvez être soumis à un horaire collectif… quel qu'il soit ! Donc oui, si ça vous chante et que vous pouvez atteindre vos objectifs, vous pouvez choisir de bosser entre 22h et 2h du matin. Donc, bien entendu, si vous avez besoin de vos collègues / clients / prestataires pour réaliser vos missions, vous aurez du mal à expliquer à votre employeur que vous ne serez jamais présent sur les mêmes plages horaires qu'eux. Mais dans les faits, l'employeur ne peut pas vous imposer des plages horaires de présence.
Les bornes des limites
Oui parce que bon, travailler plus que les autres, c'est bien joli, mais si c'est pour épuiser votre salarié au bout de 3 mois, c'est pas super rentable (je le rappelle, comme ça, là, mais les entreprises ne sont pas philantropes !).
Le principe, c'est que le salarié est autonome dans ses tâches et n'est pas soumis à l'horaire collectif. Si ce salarié est une grosse brute de travail et qu'il arrive à boucler toutes ses missions en 20 h de travail par semaine, il peut tout-à-fait travailler en moyenne 4 h par jour… Bon sauf que ça non plus, c'est pas très rentable pour l'entreprise, donc en général, ne vous y trompez pas, si on vous propose un forfait jours c'est que vous allez bosser en moyenne bien plus de 35 h par semaine !
Heureusement, il y a la loi pour protéger un peu les salariés, notamment celle du 08 août 2016 qui a renforcé le cadre juridique de ces conventions afin de garantir la sécurité et la santé du salarié.
Négociation collective
Déjà, il faut savoir que vous ne pouvez conclure une convention de ce type que si elle est prévue dans un accord collectif (accord de branche, convention collective) et qu'un certain nombre de conditions y sont stipulées. En effet, notamment depuis la nouvelle Loi travail, l'employeur doit garantir à ses salariés au forfait jours :
- une charge de travail raisonnable… mouais bon, après, tout dépend ce qu'on entend par raisonnable, c'est comme les goûts et les couleurs mais en cas de litige, les Prud'Hommes trancheront ;
- une répartition du travail du salarié dans le temps également raisonnable (concrètement, si les missions qui vous sont confiées font que vous devez bosser 50 h par semaine pendant trois mois puis 20 h par semaine pendant les trois suivants, votre convention sera très probablement nulle) ;
- une durée du travail maximale et un temps de repos raisonnables, ce qui veut dire que le salarié n'est plus soumis aux limites légales (notamment le maximum légal de 10 h de travail quotidien et de 48 h de travail hebdomadaire) mais qu'il ne peut quand-même pas bosser 24/24 7/7.
Les conventions de forfait en jours doivent donc être définies de façon assez complète dans un accord collectif et stipuler un certain nombre de clauses, listant notamment les postes sont concernés, la période de référence de 12 mois consécutifs (qui n'est pas forcément l'année civile), le nombre de jours (maximum 218 jours, car les 235 ne peuvent être atteignables que sur des cas particuliers, je le rappelle)… Ainsi que les moyens de s'assurer du respect des garanties que nous venons de voir (les clauses garantissant le droit à la santé et au repos des salariés) : modalités de contrôle de la charge de travail, périodicité des entretiens avec le salarié sur l'équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie privée, droit à la déconnexion, etc.
Limites légales
Même si son activité est très libérée, le salarié au forfait en jours bénéficient tout de même des seuils légaux de :
- repos quotidien de 11 h consécutives minimum entre deux journées de travail : donc oui, vous pouvez débaucher à 22h le lundi, mais dans ce cas, vous n'êtes pas tenu d'embaucher avant 9h le mardi matin (ce seuil peut être abaissé à 9h dans des conditions très particulières et fixées par la loi et la différence doit être compensée ensuite par « un temps de repos au moins équivalent » ou toute autre contrepartie équivalente ;
- repos hebdomadaire de 35 h consécutives minimum entre deux semaines de travail (il s'agit en fait de 24 h consécutives qui s'ajoutent au repos quotidien de 11 h consécutives), vous ne pouvez donc pas travailler plus de six jours semaine (au miniumum par exemple, votre repos pourrait aller du samedi 19 h au lundi 6 h… ça fait court, mais c'est légal !) et en général, la journée de repos de 24 h est le dimanche, sauf si l'activité de l'entreprise ne le permet pas (transports publics, santé, etc.) ;
- jours de congés payés soit 25 jours pour une période de 12 mois de travail consécutifs
- jours fériés chômés (s'ils sont chômés dans l'entreprise, ils le sont pour tous les salariés, quelle que soit la durée du travail à laquelle ils sont soumis).
Voilà, j'espère vous avoir permis d'y voir un peu plus clair au sujet des conventions de forfait en jours et je vous dis à bientôt pour discuter… congés payés (ouais, parce que bientôt, c'est l'été !!!).
Et l'argent ?
Vous l'aurez compris, le forfait jours est type de contrat adapté à des conditions de travail qui sortent de l'ordinaire. À ce titre, il est souvent rémunéré en conséquence. De nombreuses conventions précises d'ailleurs des majorations obligatoires pour les entreprises qui souhaiteraient y avoir recours. Lisez la vôtre et négociez avec votre employeur.
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