Vous allez remarquer (si vous détaillez vos bulletins de paie tous les mois) une petite nouveauté sur le bulletin de ce mois de juillet, une nouvelle mention en bas de bulletin : le montant net social.

Un peu d'historique

En 2018, une nouvelle mention est apparue sur nos bulletins, en dessous du salaire net à payer : « dont évolution de la rémunération liée à la suppression des cotisations1 chômage et maladie ». L'idée était pour le gouvernement de montrer que la suppression de ces cotisations générait une augmentation du pouvoir d'achat pour lea salarié.e… ce qui n'est pas faux en soi, mais cache tout de même une partie de la vérité.

Parce que la suppression de ces deux cotisations (chômage et maladie) est un pas de plus dans la destruction minutieuse de notre système d'assurance maladie et de chômage. Et s'il est vrai que vous avez quelques dizaines d'euros en salaire net en plus à la fin du mois, c'est autant de financement en moins pour la Sécurité Sociale et Pôle Emploi… et donc à termes, moins de prestations. Qui ont ensuite justifié la diminution des remboursements de frais médicaux et les réformes du chômage qui ont suivi.

C'est malheureusement un mécanisme très utilisé en France ces dernières années : on définance un système public en demandant de maintenir le même niveau de service, le système commence à dysfonctionner, les prestations se dégradent, ça s'empire, et là on a un Jean-Kévin Superman du gouvernement qui parade sur l'intégralité du PAF pour expliquer que le système en question ne peut plus fonctionner sur un modèle public parce qu'il coûte trop cher, qu'en plus il fonctionne mal et qu'il vaut mieux le privatiser pour que seuls les riches puissent en bénéficier (bon ça il le dit pas, mais c'est sous-entendu). Après quoi, on ouvre à la concurrence (les cliniques, les assurances privées, etc.), le système public continue de vivoter comme il peut, et les plus précaires sont… ben de plus en plus précaires.

Du coup, ces réformes entraînent l'émergence de nouvelles sources de financement, privées et non solidaires :

Bon, ça c'était pour la mention de 2018.

Le montant net social

Et donc, pourquoi ajouter encore une ligne sur un bulletin appelé « simplifié » et que personne n'a demandé ? Je veux dire, autour de vous, vous avez eu beaucoup de personnes vous dire « ahhh c'est dommage, il manque une ligne sur mon bulletin, avec une formule de calcul pondue par un énarque insomniaque et qui permettrait de rendre mon bulletin encore un peu plus confus » ?

Disclaimer : à partir de là, ce que je vais écrire ne sont que des conjectures, on ne pourra en connaître les impacts réels qu'à partir d'au moins deux ans de fonctionnement, je pense. Donc à prendre pour ce que c'est : des théories de RH qui a une petite dizaine d'années d'expérience dans la paie !

On pourrait penser qu'il s'agit encore d'une opération de comm du gouvernement, qui n'avait rien changé aux bulletins depuis 4 ans, donc ça les démangeait !

Ou alors… comme depuis plusieurs années, ils sont en train de débloquer un nouveau niveau dans la libéralisation de notre beau système de solidarité sociale. Regardons d'un peu plus près ce que c'est que ce montant net social.

Définition

Quand on lit net social, on pense à du salaire net et à des mesures plutôt sociales liées aux revenus (prestations sociales donc).

Selon le ministère des solidarités :

L'affichage progressif du montant net social sur les bulletins de paie et revenus de remplacement s'inscrit dans le chantier de modernisation des prestations sociales, en cohérence avec la logique de simplification et de renforcement de l'accès aux droits et constitue une première étape dans la mise en œuvre de la solidarité à la source.

Donc pour l'instant, il s'agit juste d'une mention, et rien ne change concrètement. En revanche, à compter de janvier 2024, c'est ce montant qui va servir de base à plusieurs prestations sociales…

Nous, les employeur.se.s avons reçu un joli PPT pour nous présenter la mesure et expliquer les tenants et aboutissants, dans lequel on peut lire dès la première slide :

Lutter contre le non-recours aux prestations sociales.
34% des personnes ayant droit au RSA ne le demandent pas.
Face au phénomène massif de non-recours aux prestations sociales, l'Etat modernise et simplifie les démarches d'accès au RSA et à la prime d'activité.

Et nous y voila, au nœud du problème ! Admettons que le but soit de permettre à ces 34% de personnes de percevoir les prestations qu'elles sont en droit de demander :

Une quatrième hypothèse serait que l'argent se serait mis à pousser soudainement sur les arbres ou que notre Président ait trouvé un coffre de pièces d'or dans le jardin de Matignon, mais même moi, ça me semble gros !

Donc, admettons que j'ai raison, comment on réduit les prestations ?

Et je penche plutôt vers cette deuxième hypothèse, rapport au calcul de ce nouveau montant. Pourquoi ?

Calcul des droits

A partir de janvier 2024, c'est ce montant qu'il faudra déclarer pour avoir droit au RSA ou à la prime d'activité. Il est même précisé qu'à terme, le montant sera déclaré directement par l'employeur.se.

Le gouvernement a créé une page spéciale (https://solidarites.gouv.fr/le-montant-net-social) pour expliquer cette mesure où on lit

Les allocataires pourront le [le montant net social] repérer facilement et sans besoin de calculer eux-mêmes le bon montant à déclarer

Sauf que d'une part, vous n'aviez déjà pas à le calculer puisqu'il apparaît lui aussi sur le bulletin clairement, d'autre part qu'il s'agit d'un nouveau montant calculé qui n'est pas le même que celui déclaré actuellement. A ce jour, si vous souhaitez demander le RSA ou la prime d'activité, vous déclarez (pour la partie « Salaires ») le montant net à payer avant impôts qui se calcule comme ça :

L'avantage de ce montant, c'est que vous pouvez le vérifier et le calculer tous les mois assez simplement car chacune de ces composantes apparaît très clairement sur une ligne spécifique du bulletin simplifié.

A partir de janvier 2024, vous allez devoir déclarer le *montant net social** qui réintègre dans vos « revenus » un certain nombre « d'avantages » financés par votre employeur. Vous gagnez la même chose, mais on considère que vous êtes plus riche. Dans le détails, ça se calcule comme ça :

Je pense qu'ils ont eu peur que les RH se confortent dans une certaine routine, donc ils ont ajouté en plus tout un tas d'exceptions pour rendre le paramétrage de nos logiciels de paie bien plus intéressant en ce début d'été.

Bref, si vous souhaitez la formule complète, il vous faudra affronter… le BOSS final des RH !!! https://youtu.be/kAuVga9GWIg !!! (Ouais, dis comme ça « le BOSS » ça fait titre de chicklit érotico-romantique… en fait c'est le Bulletin Officiel de la Sécurité Sociale, pas vraiment de quoi exciter vos neurones en début de nuit !).

Toutes les explications sont ici, si ça vous intéresse ou que vous souffrez d'insomnie : https://boss.gouv.fr/portail/accueil/bulletin-de-paie/montant-net-social.html

Les conséquences

Bon, l'idée de l'article n'était pas de vous faire maîtriser cette formule de calcul, c'est pour ça que je ne m'étends pas sur chacune des rubriques. De toute façon, même si vous vouliez la calculer ou la vérifier… vous ne pourriez pas ! Eh oui, parce que depuis l'instauration du bulletin simplifié, vous ne pouvez pas voir précisément la moitié de ces rubriques (notamment un grand nombre de cotisations pour leur part patronale).

Donc premier danger : vous n'avez aucun moyen de savoir si le calcul est bon. Vous pouvez éventuellement demander au service RH de vous sortir un bulletin détaillé, mais on est pas tenu de vous le remettre…

Et d'ailleurs, deuxième danger : les erreurs de calculs. Sans aucune malice présumée des services de paie, les formules sont tellement compliquées, avec des cas particuliers (et encore on a pas abordé la question des apprentis, des contrats aidés, des travailleurs au statut particulier…), il y a un risque d'erreur important. Même en épluchant le BOSS dans les moindres détails, on n'est jamais vraiment sûr d'avoir interprété le texte correctement (sur la prise en compte de certaines cotisations, ce n'est pas toujours limpide).

Donc le gouvernement met à votre disposition une procédure en cas d'erreur de calcul à compter de mars 2024 sur un espace personnalisé du portail mesdroitssociaux.fr (le détail des montants « net sociaux » pris en compte pour le calcul des droits sera affiché de « manière lisible et transparente ») :

Le montant net social découle directement du calcul de votre salaire et des cotisations. En cas d'erreur sur celui-ci, il est donc probable que d'autres informations du bulletin de paie soient erronées. Il convient donc de signaler cette erreur à votre employeur pour qu'il puisse la corriger.

Bon courage quand-même pour signaler l'erreur à l'employeur. Je fais la paie dans un petit établissement, nous avons peu de types de cotisations (pas de retraite supplémentaire, pas de part patronale de mutuelle sur les prestations non obligatoires…) et malgré ça, je suis incapable de reconstituer le montant net social à partir d'un bulletin simplifié.

Entendons-nous bien, en tant que RH j'ai bien sûr accès au bulletin détaillé, donc j'arrive à le reconstituer, mais je me suis prêtée au jeu (ce que je ferais pas quand-même pour mon lectorat !) avec les bulletins que je distribue au personnel… et je n'ai pas accès à tous les montants nécessaires à ce recalcul…

La seule chose que je peux affirmer, c'est que le montant net social est supérieur au montant net à payer avant impôts sur tous les bulletins que j'ai sortis ce mois-ci…

Voilà, j'espère que ça vous a plu, j'espère que je me trompe et que cette nouvelle rubrique n'aura pas pour effet de diminuer effectivement les droits et plonger ainsi un peu plus les personnes précaires un peu plus loin dans la précarité… l'avenir nous le dira !

  1. et encore, je suis surprise qu'ils aient fait inscrire « cotisations » et pas « charges »… mais j'imagine qu'ils ne parlent de « charges sociales » que lorsqu'ils mentionnent leurs amis du CAC 40, pauvres patrons qui ont du mal à boucler les fins de mois et sont écrasés par des charges astronomiques qui les empêchent d'embaucher à tour de bras des millions de personnes à un salaire décent