J’apprends, effarée, que des citadins (particulièrement de la capitale) font le choix de venir « se mettre au vert » (pour reprendre la formule plus que maladroite de BFM TV) le temps du confinement.

Et franchement, ça me désole. Oui ça me désole de constater que ces gens prennent le risque de venir contaminer des territoires où le virus est jusqu’alors à peu près contenu. On me répond que bien sûr, c’est aisé pour moi de dire ça depuis ma maison avec vue sur la forêt, que le confinement c’est nettement plus dur dans un 9m2 à Paris.

Alors, oui, pour y avoir vécu pendant deux ans avec mon mari justement, dans un minuscule appartement à Paris, je me rends compte que rester enfermé pendant plusieurs semaines là-dedans, c’est dur. Qu’on manque d’espace vital, qu’on manque d’espace personnel, qu’on étouffe, que quand on n’a pas de balcon ou de cour ou de jardin, c’est encore plus dur. Je l’entends…

Et malgré tout, je ne considère pas que ce soit une raison valable pour venir risquer la vie de nos aînés ruraux. Oui, c’est vrai, j’ai fait le choix de vivre là, dans une maison avec vue sur la forêt… mais j’habite aussi dans un territoire peu doté en lits d’urgence et de réanimation, où les femmes accouchent en voiture par manque de maternités. Dans un territoire où les grands hôpitaux sont à plus d’une heure de route. Et au quotidien, c’est rarement un problème. En temps normal, nos établissements de santé ont les capacités d’accueillir et soigner les malades du territoire, enfin ceux qui sont encore ouverts.

Mais on n’est pas « en temps normal », on fait face à un virus particulièrement contagieux et dangereux pour les personnes les plus fragiles. On me répond qu’on va mettre des masques et des gants… Vous avez des masques ? Cool ! Ici, mes soignantes n’en n’ont plus. Parce que qui dit « petite ville » dit aussi « petits approvisionnements » qui ont été pris d’assaut. Nos stocks s’épuisent et nous n’en aurons pas d’autres avant plusieurs jours (semaines ?). Parce que dans mon EHPA, je n’ai ni médecin, ni infirmière, juste des soignantes qui viennent s’occuper de personnes âgées jour et nuit. Nous ne sommes pas prioritaires pour les masques.

Alors je ne me plains pas, je ne dis pas que nous devrions être prioritaires, mais ça me met en colère de savoir qu’on va faire courir à mes résidentes plus de risques que nécessaire.

On me répond qu’on sortira le moins possible… mais si le confinement dure 3 semaines, vous avez vraiment dans votre coffre, 3 semaines complètes de nourriture ? Et si vous vous blessez et que vous devez malgré tout aller à la pharmacie ou aux urgences ? Parce que mes soignantes, elles aussi, doivent faire leurs courses, ou aller à la pharmacie. Et si elles vous croisent et que malgré tout, les gestes barrières ne suffisent pas ? Si elles ramènent le virus chez elles, si elle sont enceinte, si leurs proches sont fragilisés ou immunodéprimés ? Et si elles le ramènent au travail, auprès de nos résidentes ?

Quand nos résidentes seront malades, ce sont elles qui devront s’en occuper, jour et nuit, dans tous les actes de la vie quotidienne. Et si elles décèdent, qui s’occupera encore d'elles ? Qui fera la toilette mortuaire ? Qui les habillera, les coiffera, préviendra les familles ? Encore mes soignantes… Ces femmes qui viennent au travail chaque jour, même si elles n’ont pas de solution de garde pour leurs enfants. Oui parce que dans nos petits villages, certains maires n’ont pas encore pu mettre en place les solutions de garde pour les enfants de mes soignantes. Alors on s’arrange entre voisins, comme on peut.

Aujourd’hui une ancienne collègue a perdu sa mère en EHPAD. Elle n’a pas pu lui dire au revoir, ses enfants non plus. Il n'y aura pas d’enterrement. Il y a encore quelques semaines, elle aussi se levait tôt le matin pour prendre soin de nos résidents, les accompagner, les soigner et parfois aussi, leur tenir la main et leur parler pendant les moments difficiles, pendant les périodes d’angoisse et de solitude.

Alors, oui, je sais que rester enfermé quelques semaines dans un petit appartement en plein cœur de la ville, c’est dur. Oui je sais que les gens deviennent fous et agressifs quand on fait ses courses. Que c’est étouffant et inconfortable.

Mais vous savez ce qu'elles ont abandonné comme confort, mes résidentes ? Le confort de choisir leur lieu de vie, de choisir quels meubles elles peuvent emmener dans leur nouvelle « maison » désormais limitée à une unique pièce, de choisir le nombre de cadres qu’elles peuvent accrocher aux murs, parfois même où les accrocher si les trous dans le mur sont ceux du précédent. Le confort de choisir ce qu’elles mangent, quand elles mangent, avec qui elles mangent. Le confort de choisir quand elles prennent leur douche et avec qui. Le confort de recevoir qui elles souhaitent chez elles, quelle que soit l’heure, quel que soit le nombre. Le confort de choisir où se balader, quand et combien de temps. Parfois aussi, le confort de choisir où mourir et avec qui.

Et tout ça, c’était avant cette crise. Depuis, elles ont aussi abandonné le confort de voir leur famille, de sortir tout court de l’établissement, et tant d’autres petites choses du quotidien… Et si mes soignantes tombent malades ? Leur confort se réduira d’autant, par manque d’effectif, parce que le temps où on pouvait jouer au Scrabble avec eux deviendra du temps où on désinfecte les poignées de porte.

Et la vérité, c’est que vous ne pouvez pas garantir que vous n’êtes pas porteur et que vous ne viendrez pas disséminer ce virus dans nos campagnes. Et ce ne sera pas « involontaire », parce que faire le choix de se déplacer en zone rurale peu touchée dans la période actuelle est un acte volontaire.

Alors, non, votre confort pendant 3 semaines ne vaut pas la santé de mes résidentes. Il ne vaut pas tout le confort auquel elles ont déjà renoncé. Il ne vaut pas le risque de ne pas pouvoir dire adieu à leurs enfants et petits-enfants.

Restez chez vous.